« ETRE UN HOMME »
« Avec le temps, j’ai simplement aperçu que même ceux qui étaient meilleurs que d’autres ne pouvaient s’empêcher aujourd’hui de tuer ou de laisser tuer parce que c’était dans la logique où ils vivaient, et que nous ne pouvions pas faire un geste en ce monde sans risquer de faire mourir. Oui, j’ai continué d’avoir honte, j’ai appris cela, que nous étions tous dans la peste, et j’ai perdu la paix. Je la cherche encore aujourd’hui, essayant de les comprendre tous et de n’être l’ennemi mortel de personne. Je sais seulement qu’il faut faire ce qu’il faut pour ne plus être un pestiféré et que c’est là ce qui peut, seul, nous faire espérer la paix, ou une bonne mort à son défaut. C’est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, leur faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. Et c’est pourquoi j’ai décidé de refuser tout ce qui, de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu’on fasse mourir… »…
« L’honnête homme, celui qui n’infecte presque personne, c’est celui qui a le moins de distractions possible. Et il en faut de la volonté et de la tension pour ne jamais être distrait ! Oui, Rieux, c’est bien fatigant d’être un pestiféré. Mais c’est encore plus fatigant de ne pas vouloir l’être. C’est pour cela que tout le monde se montre fatigué, puisque tout le monde, aujourd’hui, se trouve un peu pestiféré. Mais c’est pour cela que quelques-uns, qui veulent cesser de l’être, connaissent une extrémité de fatigue dont rien ne les délivrera plus que la mort. »
Confidence de Tarrou au docteur Rieux dans « La peste » A. Camus
LE RENEGAT et L’HÔTE - Deux nouvelles issues du recueil « L’Exil et le royaume » -
« L’histoire d’aujourd’hui nous force à dire que la révolte est une des dimensions essentielles de l’homme. Elle est notre réalité historique. Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le cogito dans l’ordre de la pensée : Elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l’individu de la solitude. Je me révolte, donc nous sommes. » (L’Homme révolté)
1ère Partie - Le renégat ou un esprit confus –
L’histoire commence : « Quelle bouillie, quelle bouillie ! Il faut mettre de l’ordre dans ma tête. Depuis qu’il m’ont coupé la langue, une autre langue, je ne sais pas, marche sans arrêt dans mon crâne, quelque chose parle ou quelqu’un, qui se tait soudain et puis tout recommence, ô j’entends trop de choses que je ne dis pourtant pas, quelle bouillie… ».
Un récit troublant. Camus est au sommet de l’expression de son engagement. A la grâce d’un style concis et prégnant, l’auteur a écrit un monologue lyrique et terrifiant. Le personnage vit intérieurement ses derniers instants et proclame sa rage et son dépit à l’égard de sa condition d’esclave. Cet homme mutilé, au bord de l’agonie, se trouve confronté à ses contradictions, entre haine, révolte et résignation.
2ème Partie - L’hôte –
Un instituteur vit presque en moine dans son école. C’est l’hiver. La neige est tombée brutalement, à la mi-octobre, après huit mois de sècheresse. Les élèves qui habitent dans les villages disséminés sur le plateau ne viennent plus.
Le pays est cruel à vivre, mais Daru l’instituteur y est né. Partout ailleurs, il se sent exilé. Un jour, un gendarme vient le voir tenant au bout d’une corde un arabe, les mains liées, le front baissé. Le gendarme donne l’ordre à Daru de conduire le prisonnier à la police de Tinguit, située à une vingtaine de kilomètres de l’école.
Une fois le gendarme parti, les deux hommes se retrouvent face à face. Un dialogue va s’instaurer. Daru s’interroge sur le sens de sa mission. Conduira-t-il le prisonnier à la prison ?
Ce récit sur le courage, illustre la capacité qu’ont les hommes armés d’une conscience, à dépasser leur peur et à faire des choix qui risquent de mettre leur vie en péril. Un combat sans merci entre révolte et résignation.